Un Climat de désaccords – Critique de “Rejoignez-nous” de Greta Thunberg

Disclaimer : Les prises de positions de cet article n’engagent que son auteur et pas l’ensemble du mouvement des grèves du climat. Cette plateforme se veut être un échange et un moyen d’expression pour différentes mouvances à l’intérieur même de la GDC.

Il y a des livres, des textes, des phrases, des vers, des mots, des armes comme les appelaient Léo Ferré qui, sur votre esprit et votre cœur, vous laissent des marques qui vous guident dans cette vie où l’on n’a souvent que peu de repères. Ce fut, dans mon cas personnel, lorsque j’ai lu la première fois “L’étranger” d’Albert Camus, “Je hais les indifférents” d’Antonio Gramsci ou “Du contrat social” de Rousseau. Pour “Rejoignez-nous” de Greta Thunberg, cela ne sera, malheureusement, pas le cas, tant j’ai de désaccords avec cet essais.

Je ne parlerai pas ici de la forme du texte, bien que cela puisse être intéressant, surtout dans ce type d’écrit, mais cela réclamerait une autre analyse et ce n’est pas sur ce point que j’ai envie de porter ma critique.

Parmi les critiques que j’ai à faire, c’est sur la question de voir la crise écologique de façon dichotomique, de voir en noir et blanc, sans contrastes ni nuances. Je suis en total désaccord avec cette vision du, pour reprendre une phrase du livre, “soit nous parvenons à éviter un réchauffement de 1.5 degré. Soit non.”. Non pas car je considère cela comme faux ou que je m’oppose aux avis tranchés ; mais parce que cela est insuffisant, parce que cette façon de penser ne règle en réalité d’aucune façon le débat entre les différentes réponses possibles, qu’elles soient libérales, spirituelles, socialistes ou encore survivalistes, car ce genre de phrase tend à faire penser que si l’on n’agit pas, c’est par manque de volonté, qu’il n’y a qu’une solution. Or si, parfois, l’on n’a pas agi, c’est à cause de désaccords politiques, à comprendre dans son sens noble, la manière d’organiser la cité. Comme exemple, il y aurait la question des taxes sur les avions ou la taxe sur les véhicules qui ont parfois hérissé le poil de ceux qui sont les partisans d’une écologie populaire et qui a déclenché, en France, le mouvement des gilets jaunes. En bref, Greta Thunberg fait la même erreur que Margaret Thatcher, dans un autre domaine bien sûr, avec le TINA (there is no alternative).

Cette erreur se complète avec une autre vision de l’essai, celle de l’écologie comme seul sujet, comme unique enjeu, comme seul objet que nous devrions traiter dans les journaux. Là encore, je diverge avec la jeune suédoise. Il y a urgence certes, nous n’avons que trop peu de temps avant que la crise ne devienne funeste. Mais, penser que ce sujet est le seul digne d’occuper notre temps, notre énergie, notre esprit, est pour moi grave et dangereux. Pour certains, et surtout certaines, d’entre nous, la vie est déjà une crise, un danger, une catastrophe, un fléau, une punition et chaque jour est un duel de son corps et de son âme contre la douleur et la mort. Ainsi, si nous appliquions la façon de voir de Greta Thunberg, nous ne parlerions pas de ces migrants qui se noient dans la Méditerranée alors qu’ils cherchaient un refuge et un destin meilleur ; nous ne dirions mot au sujet des femmes qui gagnent moins que les hommes alors qu’elles en font plus que ces derniers, qui n’ont ni leurs noms ni leurs gloires dans les livres et les cours, qui se font violenter voire meurent car elles ont comme unique tort d’être des femmes. Nous ne prononcerions pas non plus de parole sur la condition des ouvriers et ouvrières ; sur la tragédie des employés et des employées, sur ces corps cassés, rouillés, brisés, malmenés par des années de labeurs et de sueurs ; sur ces morts du travail qui occupent les pages mortuaires ; sur ces inégalités qui ne font que grimper depuis des années. Cette façon d’écrire a pour conséquence de créer des barrières entre les écologistes et les autres dont la cause est une question de survie immédiate.

Un autre désaccord est sur cette appel à la science que fait l’autrice. Déjà la science n’est pas irréfutable, c’est même le contraire, elle est réfutable, c’est même cela qui la défini. Ainsi la science ne fait pas du vrai, mais du pas encore faux, du temporairement vrai. Ensuite, Einstein avait écrit “Mais la science ne peut pas créer des buts, encore moins peut-elle les faire pénétrer dans les êtres humains ; la science peut tout au plus fournir les moyens par lesquels certains buts peuvent être atteints.” C’est ainsi que je vois la chose, on doit écouter les scientifiques, qu’ils révèlent les problèmes que nous rencontrons, ce qui est faisable ou pas, mais au grand jamais nous ne devons leurs laisser le choix sur ce que nous devrions faire, de quel moyen nous devons appliquer pour atteindre les objectifs que nous avons choisie, au risque de tomber dans l’un des plus grands maux de notre époque: la post-politique.

Je rebondis sur cette notion de post-politique pour dire que, dans cet essai, il y a une généralisation abusive qui me laisse toujours sceptique quant à sa pertinence d’analyse et quant à sa capacité à produire de l’action que l’on pourrait appeler “Inaction du monde”. Je vais me montrer tranchant et sec. Il n’y a rien de plus faux. Que ce soit dans les élites ou dans le commun des mortelles, il y a de l’action que l’on peut considérer comme peu efficaces ou peu entendue, mais qui existe. Parmi les élites, nous pouvons chercher parmi des gens de la société civile comme le commandant Cousteau qui a surement beaucoup contribué, par ses documentaires et ses expéditions, à promouvoir la protection des milieux marins. Même parmi les élites politiques, nous avons des personnes qui travaillent contre la crise climatique comme José Bové dont les actions de désobéissance civile pourraient nous inspirer ou, plus récemment, le journaliste et député François Ruffin qui, par son style, tente de convaincre et diffuser l’idée d’une écologie populaire. Puis dans les masses, nous devrions nous rappeler que nous, les gens de l’écologie politique, sommes tributaires d’idées qui ont émergées au même moment que Mai 68 et le mouvement Hippie et que, même sur le continent Européen, il y a des collectifs humains qui créent des horizons écologistes comme la ZAD en France.

Comme dernier reproche, je prendrai la façon qu’à l’activiste de traiter l’espoir et cette volonté de faire paniquer. C’est une erreur, car la panique ne permet qu’un seul type de réaction : La fuite et le repli. En demandant aux gens de paniquer, Greta Thunberg fait une action contre-productive. Les homos sapiens ne sont pas des êtres de raison, mais de passions, de sentiments et d’émotions. On ne peut changer une société qu’en mobilisant les masses, qu’en les mettant en action contre ce système, qu’en brisant la peur et pour cela il faut créer deux choses : De la colère contre le système et, comme dirait Georges Sorel, un mythe social qui rassemble, un idéal souhaité, une utopie que l’on croit possible, en bref, un espoir. Il faut les deux, car la colère sans espoir n’est que nihilisme, et l’espoir sans colère rend passif face l’histoire en mouvement. Pour le moment, la colère est dans le cœur de nombreuses personnes, mais plusieurs sont orphelins d’un horizon, d’un imaginaire pour passer à l’action et à cela que nous devons nous atteler sans besoin de créer de nouveau, mais en piochant d’anciens en les dépoussiérant comme celui de la Révolution de 1789 qui, si on observe les héritiers de cette histoire, permet aux masses de croire que leurs mouvements, leurs révoltes, leurs actions, peuvent créer du changement.

Je ne dirais pas que je déconseille “Rejoignez-vous”, certains et certaines pourront y voir un objet aspirant, mais je pense qu’il est nécessaire de rester très critique malgré des intentions des plus louables, c’est même surtout dans ces cas-là que nous devrions nous montrer les plus sceptiques, car on peut vite se trouver, comme les disciples de Jésus, fascinés par nos idoles et prendre chaque livres, textes, phrases, vers, mots, armes, comme paroles d’évangiles.

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1 commentaire

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  1. Bien que n’ayant pas lu le livre de Greta Thunberg, je tiens à saluer l’esprit critique dont vous faites preuve qui est souvent trop rare au sein d’un même mouvement. Cependant après en avoir discuté avec plusieurs collègues universitaire, ce qui me pousse à écrire ce commentaire, c’est votre paragraphe sur la science. Plus exactement cette phrase : “au grand jamais nous ne devons leurs laisser le choix sur ce que nous devrions faire, de quel moyen nous devons appliquer pour atteindre les objectifs que nous avons choisie”.

    La science est descriptive et donc par construction, est amorale. Elle ne permet donc pas de dire ce qui est bien ou mal. Cependant, son aspect prédictif fiable nous permet de dire ce qui sera vrai ou faux. Vous avez techniquement raison de dire que “la science n’est pas irréfutable, c’est même le contraire, elle est réfutable, c’est même cela qui la défini. Ainsi la science ne fait pas du vrai, mais du pas encore faux, du temporairement vrai”. Mais la science est ce que nous avons de plus proche de la vérité et aucune autre méthode ne l’égale. La vérité scientifique est donc la vérité du présent. Comme disait mon prof. de physique : “Tous les modèles sont faux, mais il y en a des moins faux que d’autres”.

    Comme la science en est incapable, le meilleur moyen de définir le “bien” et le “mal” c’est la politique, une fois que les objectifs/buts moraux définis par ceux-ci sont clairs, c’est le rôle des ingénieurs et des chercheurs de trouver les meilleurs moyens par lesquels ces buts peuvent être atteints, grâce aux capacités prédictives de la science. Et c’est d’ailleurs ainsi que je comprends la citation d’Einstein que vous utilisez. “Mais la science ne peut pas créer des buts, encore moins peut-elle les faire pénétrer dans les êtres humains ; la science peut tout au plus fournir les moyens par lesquels certains buts peuvent être atteints”.

    Vous comprenez donc pourquoi selon mon humble opinion, votre phrase “au grand jamais […]” est incorrect.
    J’ajouterais même par ailleurs que trop souvent les politiciens pensent pouvoir faire fi des lois de la physique. On gagnerait à déléguer une partie de leur travaux à des groupes d’expert qui calculeront les moyens à mettre en place selon des objectifs moraux bien défini par le politique. Cela éliminerait un grand nombre de biais, de sophisme ou même de dénis pur et simple de la vérité scientifique de la part de nos élus.

    Par ailleurs je tiens également à féliciter votre mouvement pour le respect que vous accordez à la science sur votre site web. Ce qui n’est pas le cas des partis politiques, qui souvent préfèrent l’ignorer, de peur de se faire contredire, ou alors font du cherry-picking.